Bessie Lee : “La Chine va devenir le champion mondial de l’IA”

Publié par Clément Fages le 19 juin 2017 | Mis à jour le 21 juin 2017 à 15:56
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Ancienne CEO des agences de communication GroupM et WPP en Chine, Bessie Lee est aujourd’hui à la tête du fonds d’investissement Withinlink. Invitée aux Cannes Lions ce 19 juin et à la première édition chinoise de China Connect le 5 juillet, elle partage sa vision du marché publicitaire chinois.

En une quinzaine d’années, le chiffre d’affaires de la publicité en Chine a été multiplié par plus de huit. C’est aujourd’hui le deuxième marché mondial avec 78 milliards d’euros en 2015. Du haut de vos 27 ans de carrière dans le secteur, quel regard portez-vous sur cette croissance?
“Nous avons connu un ralentissement ces deux dernières années, mais le secteur connait toujours une croissance proche des deux chiffres et dispose selon moi encore d’un énorme potentiel: nous ne pesons qu’un tiers du marché américain, alors que notre population est quatre fois supérieure! Le marché a bénéficié de l’essor d’Internet et d’entreprises très dynamiques. L’absence de Facebook, Twitter, Google et YouTube a permis à des groupes comme Baidu, Alibaba et Tencent de se développer, mais aussi d’accompagner l’essor d’entreprises technologiques comme Huawei, Xiaomi ou encore Lenovo, qui sont des géants internationaux, mais aussi les principaux annonceurs du pays. C’est une des grandes différences avec les autres marchés asiatiques, où les marques internationales dominent les investissements publicitaires. Le digital représente ainsi plus de la moitié des investissements, mais la télévision reste importante, tout comme l’affichage. Ce support a une place assez unique en Chine. Notre pays est aussi grand et diversifié que l’ensemble des pays européens, avec de nombreuses mégapoles qui ont chacune leurs médias. Pour un publicitaire, le choix est énorme! L’affichage est donc un moyen de toucher efficacement une large partie de la population.”

En France, Google et Facebook captent la majorité de la croissance publicitaire. Les géants du Web chinois sont-ils aussi dominateurs sur le marché national?
“Oui, c’est une des similitudes entre la Chine et l’Occident. La Chine se distingue néanmoins par la prépondérance des réseaux sociaux comme vecteurs de communication. Les marques investissent énormément sur un canal comme WeChat, non seulement pour y faire de la publicité, mais aussi pour profiter de toutes les possibilités offertes par la plateforme pour engager le consommateur.”

Le poids du mobile est aussi un élément caractéristique de la Chine, avec un tiers des investissements publicitaires totaux! Pour quelles raisons le mobile et les réseaux sociaux sont-ils si importants?
“Le réseau mobile s’est rapidement développé depuis dix ans sous l’impulsion du gouvernement. Les opérateurs mobiles ont aussi beaucoup moins d’emprise sur leurs clients, ce qui a encouragé la naissance d’un écosystème très riche, avec au moins 300 entreprises des télécoms. Enfin, il y a tout simplement une très forte demande de la part de la population, qui n’avait pas toujours accès à un ordinateur mais désirait garder contact avec les expatriés et ceux qui voyagent… Et il faut prendre en compte les conséquences de la politique de l’enfant unique : pour plusieurs centaines de millions de jeunes, le mobile est ou a été le meilleur moyen de rester en contact avec leurs amis une fois seuls à la maison. Toutes ces raisons expliquent le succès du mobile et surtout des services de messagerie. Il y a 900 millions d’utilisateurs des réseaux sociaux en Chine… Les marques y répondent et investissant dans des contenus comme la vidéo, le live ou encore en collaborant avec des influenceurs.”

Compte tenu de cette prépondérance du mobile et du conversationnel, quelle est la maturité du marché chinois en matière d’intelligences artificielles et de chatbots?
“Je pense que la Chine va devenir le champion mondial de l’intelligence artificielle! La base de ces technologies est le machine learning, et nous avons assez d’utilisateurs qui génèrent assez de data pour faire de notre pays un leader. Regardez Meitu, l’application de partage de selfies : elle est rapidement devenue l’une des plus utilisées et donc des plus riches en contenu dans le monde.”

Un succès qui rappelle celui de Musical.ly. Après les constructeurs, c’est au tour des services chinois de s’étendre à l’international? Quels sont leurs principaux enjeux?
“Ils doivent apprendre à manager une stratégie marketing globale. La plupart de ces entreprises sont exclusivement chinoises et l’un des enjeux est de nouer des partenariats avec d’autres entités qui vont les accompagner à l’étranger et leur faire gagner en crédibilité. C’est une opportunité pour des groupes comme Publicis Media, Omnicom ou bien sûr WPP. Huawei travaille par exemple avec Ogilvy pour la majorité de ses campagnes. Mais c’est aussi valable pour les entreprises occidentales qui viennent en Chine. Comme je l’ai dit, il ne faut pas penser le marché chinois comme un marché unique et il est préférable d’être accompagné par un acteur local pour s’y implanter…”

Ces partenariats intéressent par de nombreux aspects… La technologie est aujourd’hui au coeur de la publicité : compte tenu du développement rapide du marché chinois, les agences sont-elles prêtes à relever ce défi technique?
“Toutes les agences font face à ce défi, tant au niveau local qu’international ! Mais je pense que ces structures sont avant tout basées sur l’humain, plus que sur la technologie. Leur but est la connaissance des consommateurs. Avec le digital, la création, le média, la technologie et la data sont inséparables. Le défi des agences reste d’être créatives pour engager le consommateur. C’est leur plus-value vis-à-vis de leurs clients.”

Le partenariat entre Publicis Media et Chinaccelerator montre que les agences vont chercher ces compétences techniques chez les startups. N’y-a-t’il pas toutefois une opportunité pour les marketeurs occidentaux, plus matures sur ces sujets? La Chine a-t-elle le potentiel pour devenir la nouvelle Silicon Valley où nos startups vont lever des fonds?
“C’est difficile à dire. Je pense qu’avec une bonne idée et un proof of concept, vous avez toujours la possibilité de lever des fonds, n’importe où. En Chine, les levées se font principalement en yuan, or il est très difficile d’investir en dehors du pays en yuan, le gouvernement freine ces projets. Pour trouver ce type de financement, il faut s’implanter en Chine. Le pays recèle d’opportunités. Quant au partenariat que vous citez, c’est une bonne idée quand ils renforcent les startups autant qu’ils étoffent l’offre des agences. Ces dernières considèrent la possibilité de devenir elles-mêmes des accélérateurs, mais elles ont besoin d’aide pour détecter les startups et les sujets émergents.”

C’est ce que vous vous proposez de faire à la tête de Withinlink? Quelles sont vos priorités d’investissements cette année?
“Nous avons investi dans la publicité programmatique, la publicité mobile et l’analytics (avec respectivement FugeTech, Pingcoo et RabbitPre, ndlr). Nous nous intéressons aux martech, à l’adtech et aux startups et entreprises innovantes sur les contenus. Tout ce qui s’articule autour du marketing, en nous basant sur notre réseau et notre connaissance du marché.”

Vous intervenez aux Cannes Lions ainsi qu’à la première édition chinoise de China Connect cette année, avez-vous en tête d’investir dans des startups françaises?
“J’en serais ravie. C’est l’une des raisons de notre levée de fonds en dollars le mois dernier pouvoir investir par exemple dans une startup française et l’aider à s’implanter en Chine, où nous pouvons faire office de partenaire de confiance entre ces startups, les agences et les marques. Mais je vais principalement à ces événements pour parler de l’innovation en Chine et plus particulièrement à Cannes pour accompagner trois startups : RabbitPre, mais aussi Kuaizi Technology, une solution d’aide à la création de contenus et Chief Gululu, un Tamagotshi à portée éducative.”